Après la libération de Paris le 25 aout 1944 et celle de Nice trois jours plus tard, Ida et chacune des filles reprirent donc le chemin de la capitale.

Rosalie Bercovitch en 1949

Ce fut d’abord au tour de Rosalie qui, dès septembre 1944, emménagea dans un nouveau logement au 53 rue d’Orsel dans le 18e arrondissement. Et comme elle faisait toujours partie des effectifs de chez CinéPresse, elle reprit naturellement son métier d’ouvreuse. C’est ainsi qu’on la retrouve en 1949 au cinéma Les Images, boulevard de Clichy.
Quant à sa vie de famille, seule depuis la mort de son mari Michel Blumberg à Auschwitz, elle se remaria quatorze ans plus tard, le 10 novembre 1958, avec un veuf de dix ans son ainé, Yvan Fischbein, celui-là même qui hébergea clandestinement Bronia et Icko durant quelques jours à l’été 1941 !

Puis, comme de nombreux réfugiés dans ces années d’après-guerre, Rosalie ne tarda pas pour effectuer sa demande de naturalisation, qu’elle obtint huit mois plus tard, par décret du 9 septembre 1949. Et ce, malgré un avis défavorable du préfet de police qui suggérait un ajournement, comme indiqué dans son dossier  :

Bien assimilée, elle fait l’objet de renseignements satisfaisants et son attitude pendant l’occupation n’a pas donné lieu à critique.

Considérant toutefois que son intégration dans la communauté française ne présente pas d’intérêt pour notre pays, je vous propose d’ajourner quant à présent, l’examen de sa requête.

Extrait de l’avis du préfet de police du 20 juil. 1949
(Source : Archives nationales)

Elle fut ensuite la première de la famille à s’adresser en 1956 à l’OFPRA, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, afin d’initier une requête de dédommagement auprès des autorités allemandes en tant que personne persécutée durant l’occupation nazie, veuve d’un déporté mort dans les camps nazis.

C’est également à l’OFPRA que fut trouvée une des dernières informations à son sujet, celle de son nouveau domicile du 6 rue Rodier dans le 9e arrondissement, qu’elle occupa avec son mari Yvan à partir des années 50, et ce, jusqu’à son décès en 1966, comme le mentionna sa sœur Sonia sur son dossier de naturalisation en 1973.

Bronia Bercovitch en 1945/1946

Peu après Rosalie, Bronia et Icko furent les suivants à revenir à Paris fin 1944, où ils réintégrèrent leur appartement de la rue Brancion. Dans un pays en pleine reconstruction, Icko avec son diplôme d’ingénieur n’eut aucun mal à retrouver un emploi dans le secteur des radios industrielles. Comme celui qu’il occupa en 1945 en tant qu’ingénieur radio électromécanicien à la Société Centrale des Inventions Pratiques, le fabriquant des fameux postes de radio Pygmy. Avec un salaire mensuel de 11 000 francs, il gagnait bien sa vie, ce qui permit à Bronia d’arrêter de travailler. Dès lors, avec un travail stable, son engagement volontaire dans l’armée en 1939, et sa participation à la résistance, tout était réuni pour réclamer une nouvelle fois la naturalisation française après un premier dossier laissé sans suite en 1940. Et deux ans plus tard, en juin 1947, lui et son épouse devenaient enfin français. Ce qui n’empêcha pas Bronia, entre temps, de solliciter quand même un passeport Nansen à son nom. Au cas où….

Puis en 1957, elle reprit contact en 1957 avec l’OFPRA pour effectuer, tout comme sa sœur Rosalie, une demande d’indemnité en tant que persécutée durant l’occupation allemande. Indemnisation qu’elle reçut probablement.

Restée rue Brancion, proche des autres membres de sa famille, ce n’est qu’après le décès d’Icko en mai 1965, que Bronia déménagea au 129 rue de Lourmel dans le même arrondissement où elle vécut jusqu’à sa mort survenue le 5 septembre 1973.

Pour ce qui est de Sonia, Anna et Ida, elles revinrent à Paris bien après, en octobre 1945. Là, elles s’installèrent dans ce nouvel appartement du 73 rue des Morillons, à deux pas de chez Bronia et Icko. Mais les deux filles n’y restèrent que quelques mois avant de quitter enfin leur mère pour vivre leur vie chacune de leur côté. Désormais seule, même si ses enfants venaient régulièrement la voir, Ida y vécut encore trois ans, jusqu’à son décès le 29 janvier 1950 à l’âge de 62 ans. Elle repose aujourd’hui auprès de son fils Samuel dans le caveau familial du cimetière parisien de Bagneux.

Sonia dite Sophie BERCOVA- 1970

Retour donc sur Sonia, qui dès son retour à Paris reprit le piano. Elle continua à jouer encore une quinzaine d’années, comme concertiste ou pianiste accompagnatrice dans différentes écoles de danse classique ou encore professeur chez des particuliers.
Sans oublier les leçons hebdomadaires qu’elle donna durant un ou deux ans à ses petites nièces, Rosette et Jeannine Bercovitz. A cette occasion, il n’était alors pas rare d’entendre Sonia leur crier dessus, surtout sur Jeannine, lorsque les consignes n’étaient pas correctement respectées… C’est d’ailleurs à cette époque que les enfants Bercovitz l’appelèrent entre eux « le cheval », tellement elle leur apparaissait grande et mince, et dont les cris ressemblaient à un hennissement… !

Lorsqu’elle décida en 1946 de partir vivre seule, elle ne s’éloigna pas pour autant de sa famille, restant dans le 15e arrondissement dans un appartement du 33 rue Saint-Amand.
Elle fit ensuite comme ses sœurs, en s’adressant à l’OFPRA pour obtenir du gouvernement allemand une rente en tant que victime civile de guerre. Ce qui fut chose faite lorsqu’on lui accorda une pension de dédommagement de 590 francs par mois. Elle en profita également pour se faire délivrer une carte de réfugiée qu’elle renouvela pendant près de vingt ans.

Carte de refugié de Sonia Bercovitch établie par l’OFPRA en 1963

Mais elle n’en avait pas fini pour autant avec cet organisme, car quatre ans plus tard, elle les sollicita de nouveau pour l’aider à obtenir une attestation de fin de cycle secondaire afin de reprendre des études supérieures. Grâce notamment au témoignage d’un de ses amis, Gerassin Bolkwade, un réfugié géorgien, très lié avec la famille Bercovitch dans les années 1930, l’OFPRA lui délivra finalement ce fameux certificat. Avec son attestation en poche, elle put ainsi suivre une formation dans l’enseignement du russe, en intégrant l’école nationale des langues orientales. Devenu aujourd’hui l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), dit Langues O’ (prononcer Langzo), cet établissement français d’enseignement supérieur et de recherche est chargé d’enseigner les langues et civilisations autres que celles originaires d’Europe occidentale.
Une fois son diplôme en poche, elle arrêta alors les cours de piano pour devenir professeur de russe. C’est ainsi qu’en 1959, elle intégra la compagnie des machines Bull afin d’y enseigner sa langue maternelle. Puis elle quitta l’entreprise cinq ans plus tard, en 1964, pour travailler à l’éducation nationale. Tout d’abord en tant qu’assistante de russe dans divers lycées de la région parisienne, et à partir de 1971 au sein du centre national de télé‑enseignement à Vanves, cet établissement qui deviendra en 1986 le centre national d’enseignement à distance (CNED). Mais elle n’y resta qu’à peine un an avant de prendre enfin sa retraite début 1972.

Elle profita alors de cette nouvelle étape pour entreprendre les démarches afin d’obtenir la nationalité française en demandant également la francisation de son nom en Bercovat. Il faut dire que depuis l’après-guerre, elle se faisait déjà appeler Sophie Bercova. Ainsi, avec sa demande de naturalisation, l’occasion lui était donnée d’officialiser cet état de fait. D’ailleurs, au vu des différents documents de son dossier ou des autres informations recueillies sur son compte, comme par exemple sur sa carte de réfugiée russe, seule Sophie Bercovitch dite Bercova était mentionnée, jamais Sonia. À se demander si du point de vue de l’administration, elle n’aurait été connue que sous le nom de Sophie et non sous son véritable prénom de Sonia !
Quoi qu’il en soit, cela n’empêcha pas l’instruction de sa requête. Celle-ci donna tout d’abord lieu à un premier avis défavorable du préfet de police, sous prétexte de son âge, 66 ans, et de la tardiveté de sa requête, quarante‑sept ans après son arrivée en France. Recommandation qui, quelques jours plus tard, fut contredit par le bureau du sceau responsable de son dossier, en soumettant un avis bienveillant. Et le 2 mai 1973, Sonia devint officiellement française en tant que Sophie Bercovat.

Mention de la naturalisation et de changement de nom de Sonia, devenue dorénavant Sophie BERCOVAT – Journal officiel du 02 mai 1973

Ensuite, plus aucune information sur elle, si ce n’est qu’elle continua de vivre quelques années dans son nouvel appartement au 1 square Léon Guillot, toujours dans le 15e arrondissement et qu’elle finit sa vie célibataire et à priori sans enfants. Par contre, ce qu’elle devint après, ainsi que sa date et lieu de décès restent à ce jour inconnus.

 

Quant à Anna, une fois revenue à Paris en 1945 avec sa mère et sa sœur, elle reprit son métier d’infirmière. Et deux ans plus tard, le 27 décembre 1947, elle épousa à la mairie du 15e arrondissement, Adolphe Rosenberg, où un de leur témoins n’était autre que son beau-frère Icko Safir.

Issu d’une famille juive allemande, Adolphe est né à Berlin en février 1914. En 1933, il quitta l’Allemagne pour raison politique et s’installa en région parisienne. Puis, à l’instar de Icko et de nombreux exilés juifs, il signa une demande d’engagement volontaire en septembre 1939, au lendemain de l’entrée en guerre de la France. Mauvaise idée car en tant que ressortissant allemand, l’armée l’emprisonna immédiatement au camp de Colombes. Il y resta jusqu’en février 1940, avant que l’administration ne le reconnaisse apte au service à défendre la France et l’affecte au dépôt d’artillerie no 4 du Mans. En aout 1942, il est arrêté à Castelnau‑Magnoac, près de Tarbes dans les Hautes‑Pyrénées, et de nouveau interné, cette fois-ci au camp de rassemblement de Gurs. Libéré un mois plus tard, il se réfugia à Meyzieu dans la banlieue Est de Lyon, avant de revenir en région parisienne, au Vésinet, où il aida quelques temps comme économe dans une maison de l’OSE, l’Œuvre de secours aux enfants . Puis il rencontra Anna et l’épousa.

Anna Bercovitch en 1948

Une fois mariée, Anna quitta alors le petit appartement du 73 rue des Morillons qu’elle partageait avec sa mère et sa sœur Sonia, pour suivre son mari et s’installer 163 rue Legendre dans le 17e arrondissement.
Côté professionnel, tout comme sa femme qui reprit son métier d’avant-guerre, Adolphe fit de même. Il travailla donc comme représentant de commerce, activité qu’il exerça un temps pour le compte de la maison « Comptoir français de sac et jute », rue du Louvre, pour un salaire mensuel de 35 000 francs.

Puis en novembre 1948, Anna accoucha du premier de ses trois enfants, Irène Katleen. Ce fut ensuite George André en décembre 1949, et pour finir, Alex. Conséquence inattendue de cette première naissance : le déblocage de leur demande de naturalisation, mise en attente depuis 1948. La procédure put ainsi continuer, et le 6 janvier 1950, les deux époux devinrent enfin citoyens français.

Désormais parents, la vie suivit son cours. Malheureusement, le sort s’acharna sur Anna qui, à la suite d’une intervention chirurgicale, resta invalide durant plus de dix ans, muette et paralysée.

Ce furent les dernières informations retrouvées la concernant. On sait seulement qu’elle s’est séparée de son mari et qu’elle était encore en vie en 1973, résidant à cette époque, 4 rue Léon Delagrange dans le 15e, et toujours infirmière. Quant à Adolphe, il est mort le 8 novembre 1995 à l’âge de 81 ans à Pollionnay en Auvergne.

Pour finir au sujet des sœurs Bercovitch et de leur vie d’après-guerre, il reste Tamara, la préférée de son cousin Samuel Bercovitz. Contrairement à ses sœurs qui retournèrent rapidement à Paris, Tamara ne revint avec sa fille dans la capitale qu’en 1947 ou 1948, une fois séparée de Marius.

Mais sans logement fixe, reprenant tout juste son métier de modiste spécialisée dans les chapeaux, les débuts furent difficiles, et elle dut alors mettre Véra en pension durant deux ans, le temps de subvenir correctement à leurs besoins à toutes deux. Par la suite, elle trouva un petit appartement au 48 avenue Kleber, dans le 16e arrondissement, à deux pas de l’Arc de Triomphe, un quartier plutôt chic. Elle y restera jusqu’à sa retraite avant de partir rejoindre Véra en Russie fin des années 1980.

Dans ces années d’après-guerre, les deux familles, celle de Samuel Bercovitz et celle des soeurs Bercovitch, s’entendaient alors plutôt bien, se retrouvant régulièrement les uns chez les autres. Comme Sonia rue Sibuet pour donner des cours de piano aux filles. Ou Henriette lorsque qu’elle se rendait régulièrement avec son fils Claude chez Tamara, généralement le jeudi, jour sans école. Avec les trois sœurs, Bronia, Anna, Sonia, souvent présentes, elles passaient ainsi l’après-midi à discuter, en russe, langue que parlait encore couramment Henriette. Elles rencontrèrent même un jour Nioura Hossein, la mère de Robert Hossein et la meilleure amie de Tamara, une femme charmante, se souvenait Claude. Quant à lui, qui ne comprenait pas un mot, il s’ennuyait à mourir, attendant avec impatience la fin de journée pour partir !
Il y eut également ces vacances à Hossegor durant l’été 1949, où Samuel avait loué une somptueuse villa pour une douzaine de personnes. Et bien sûr comme il s’entendait toujours très bien avec sa cousine Tamara, il l’invita avec sa fille. Elles y restèrent toutes les deux presque un mois, avec Rose, Willy, Émile et la famille Bercovitz au complet, profitant du soleil et de la plage. C’est d’ailleurs au cours de leur séjour que Véra, alors âgée de 13 ans, écrivit un très joli poème à son cousin Claude, qu’il n’a malheureusement pas conservé…

Vacances à Hossegor – été 1949 – Assises : Jeanine, Henriette, Tamara – Debout : Véra et Rosette

Sans oublier les visites régulières de Tamara rue Sibuet. Ainsi, toutes les deux ou trois semaines, avec Véra et de temps en temps ses sœurs, elle passait le soir rendre visite à Samuel, juste pour bavarder et avoir le plaisir d’être réunis.
Tout allait donc bien entre les deux familles jusqu’à ce jour de fin 1950 — début 1960, lorsque Tamara et ses sœurs ne vinrent plus à ces soirées chez leur cousin. Mais au lieu d’appeler pour en connaitre la raison, Samuel ne chercha pas à en savoir plus. Ce n’est que bien longtemps après qu’il se décida enfin à contacter sa cousine préférée :

  • Oui Sam, tout ça c’est à cause de ta femme, lui expliqua Tamara
  • Comment ça ? De Henriette ?
  • Ben oui, on ne supporte plus ta femme avec mes sœurs. Elle est sans cesse en train de glorifier son mari… « mon mari chéri il est ceci… mon mari il est cela… », alors que nous sommes toutes veuves ou sans homme. Donc toutes les quatre, on a décidé qu’on ne mettrait plus les pieds chez toi.
  • Mais c’est idiot Tamara. Elle ne le fait pas méchamment. Elle est très gentille Henriette.
  • Non, non Sam, tu ne le sais pas, mais elle est très prétentieuse ta femme… Et puis c’est comme ça, c’est décidé.

Et depuis ils ne se sont plus jamais revus. Même si Henriette était un peu prétentieuse, cela justifiait‑il une telle rupture… ?

Toutefois, si les relations avec Samuel et Henriette étaient terminées, ce n’était pas le cas avec les enfants, notamment Jeannine. Ainsi, pendant toute une période, elle venait presque tous les dimanches avenue Kleber, retrouver Véra et d’autres amis, avant de sortir tous ensemble dans les cafés alentour. Parmi eux figurait un certain Cyril Atanassoff, futur danseur étoile de l’Opéra de Paris, qui selon la rumeur, aurait flirté avec Jeannine mais rien n’est moins sûr…

La vie continua et Tamara poursuivit son métier de couturière de mode à domicile, métier dans lequel elle excellait. Elle travailla même dans les années 1960 pour différents établissements réputés, dont Balmain et Azarro, ou encore pour les maisons Karinska et Gromtseva, spécialisées dans les costumes de théâtre. C’est elle qui d’ailleurs réalisa la robe pour l’actrice Michelle Mercier, la fameuse Angélique dans le film « Angélique, Marquise des Anges » avec Robert Hossein.

Puis à sa retraite, fin des années 1980, Tamara décida de passer le restant de sa vie auprès de sa fille qui résidait et travaillait à Moscou comme chorégraphe depuis 1958. Malheureusement, cette période heureuse où elles vécurent ensemble toutes les deux fut de courte durée. En septembre 1990, à la veille de son anniversaire pour lequel Véra avait invité plusieurs amis, Tamara glissa sur une marche en allant chercher du pain, comme le raconta sa fille dans son livre mémoire « Pointes à la ligne ». Hémorragie cérébrale… urgences… cinq jours dans le coma. Tamara s’éteignit à l’âge de 82 ans.