Lorsque le conflit éclata en septembre 1939, Ida, Anna et Sonia décidèrent de s’éloigner au plus vite du Nord de la France. Rien d’étonnant alors qu’elles aient choisi Nice, là où résidaient Tamara, Marius et leur fille Véra. D’autant plus que cette ville, la plus cosmopolite de la Côte d’Azur, accueillait déjà depuis des années de très nombreux étrangers, notamment des réfugiés du génocide arménien, des Russes, ou des Juifs quelle que soit leur nationalité.

Une fois sur place, après être restées quelque temps chez Tamara, les trois femmes trouvèrent de quoi loger rue Massena, en plein centre-ville. Elles y vécurent ainsi jusqu’à l’été 1942 lorsqu’elles durent quitter cet appartement devenu trop couteux, pour une chambre à l’hôtel Bayard, 3 passage Martin, à deux rues de la gare centrale. C’est là qu’elles y retrouvèrent Bronia et Icko, réfugiés également à Nice depuis 1941.

Car contrairement à Ida et ses deux filles, Bronia n’avait pas fuit la capitale dès le début des hostilités, restant ainsi avec son mari dans leur logement de la rue Brancion. D’ailleurs en février 1940, Icko s’engagea même dans l’armée française comme volontaire étranger, affecté au 11e régiment du génie. Puis, fait prisonnier fin juin, à Tonnay en Charente‑Maritime, il fut alors interné dans un camp de prisonniers de guerre de l’armée allemande près de Chartres, d’où il s’échappa un mois plus tard pour revenir à Paris auprès de sa femme. Mais au bout d’à peine un an, en juin 1941, l’Allemagne envahissait la Russie. Icko, exilé russe, était désormais considéré comme un ennemi et recherché comme tel par les nazis. Contraints de fuir, Icko et Bronia demandèrent alors de l’aide à un de leurs amis, Yvan Fischbein, qui sans hésiter, les hébergea à son domicile de la rue Olier, à 5 minutes à pied de leur appartement de la rue Brancion. Ce même Yvan Fischbein qui épousera plus tard Roseta, la soeur de Bronia ! Finalement ils n’y restèrent que quelques jours, avant de quitter la capitale pour Nice. Là, ils louèrent une chambre dans ce fameux hôtel Bayard qu’occuperont donc un an après, Ida, Sonia et Anna.

Enfin n’oublions pas Rosalie, qui elle aussi partit pour Nice dès le début de la guerre. Mais au lieu d’habiter avec sa mère et ses sœurs, elle choisit de loger seule dans différents hôtels, au moins trois durant les cinq années de son séjour forcé. Son mari, quant à lui, avait décidé de rester à Paris. Malheureusement, mal lui en prit, car le 10 janvier 1942, la police arrêta Michel à son nouveau domicile de la rue Drouot dans le 9e. Après un an d’internement à Drancy, il fit partie du convoi n46 du 9 février 1943 à destination d’Auschwitz. Tatoué avec le numéro 101049, il décéda le 14 février, trois jours après son arrivée au camp.

C’est donc à Nice que les cinq femmes Bercovitch passèrent une partie de ces années difficiles, sans ressource ou si peu, se débrouillant comme elles le pouvaient. Sans oublier que même si jusqu’en novembre 1942 la ville se situait en zone non occupée, les arrestations sommaires par la police de Pétain, surtout de juifs, pouvaient survenir à tout moment.
Comme la grande rafle du 26 aout 1942, à l’initiative des autorités de Vichy, à laquelle échappèrent heureusement les Bercovitch. Organisée six semaines après celle du Vél’ d’Hiv’ dans toutes les régions de la zone « libre », elle donna lieu pour Nice et ses environs à l’interpellation de 650 Juifs, dont plus de 500 furent déportés. Au soir du 28 aout, près de 6 000 Juifs avaient été arrêtés dans toute la zone non occupée. En comptant le transfert des quelque 4 000 Juifs apatrides déjà enfermés dans les camps du Sud de la France, ce furent au total 11 000 personnes de la zone « libre » qui partirent dans les convois no 17 à 21, 24 à 33, 40 et 42, entre aout et octobre 1942.

Puis le 8 novembre, débuta l’opération Torch, le débarquement anglo-américain en Afrique du Nord. Trois jours plus tard, Hitler donna l’ordre en représailles d’envahir la zone « libre », épargnée depuis juin 1940. Tout le pays se retrouva occupé par les troupes allemandes. Exception faite de la majeure partie de la région à l’est du Rhône, dont Nice, qui passa sous le contrôle de l’Italie de Mussolini, alors alliée de l’Allemagne.

Chars italiens défilant à Nice sur la promenade des Anglais

Mais contrairement aux nazis, les Italiens étaient loin d’être des antisémites convaincus, refusant pour la plupart d’appliquer cette politique répressive dictée par les Allemands ou le gouvernement de Pétain. Ils allèrent même jusqu’à protéger les Juifs, comme à Annecy lorsqu’ils les firent sortir de prison, ou à Grenoble lorsqu’ils obligèrent l’intendant de police de Vichy à annuler l’ordre d’arrestation de centaines d’entre eux. Dès lors, la situation s’apaisa rapidement. À tel point que Nice connut un nouvel afflux de réfugiés juifs, jusqu’à représenter plus de 10 % de la population de la ville, seulement dix mois après le début de l’occupation italienne. Pour autant, il ne faudrait pas sous-estimer les exactions des occupants italiens qui furent certes moins nombreuses et intenses que celles des nazis mais qui ont bien existé.

Quoi qu’il en soit « l’accalmie » fut de courte durée. À peine un an plus tard, en septembre 1943, l’Italie signa l’armistice avec les alliés, et l’armée allemande remplaça les troupes italiennes. Nice vit alors débarquer le SS Alois Brunner et son commando de la Gestapo antijuive.

Alois Brunner – photo non datée

À la tête du camp de Drancy depuis juin 1943, après avoir fait déporter les Juifs d’Autriche et de Salonique, la réputation de Brunner n’était plus à faire. Sa nouvelle mission en arrivant dans la cité niçoise : organiser la traque des Juifs de la région et leur déportation vers les camps d’extermination. Dès lors, débuta une véritable chasse à l’homme. Tous les moyens étaient mis en œuvre pour les débusquer : rafle dans les rues, les hôtels, les églises ; physionomistes pour les repérages au faciès ; des hommes sont même déculottés dans la rue pour vérifier leur éventuelle circoncision. Comme ce jour où deux soldats de la Gestapo entrèrent dans l’appartement de l’avenue Foch où vivaient toujours Tamara, sa fille Véra et son mari Marius. À la recherche de Juifs et vraisemblablement à cause d’une dénonciation, ils demandèrent à ce dernier d’ôter son pantalon pour vérification ! Mais Français d’origine italienne, issu d’une longue génération de catholiques, les Boccadoro, Marius n’était bien sûr pas circoncis et les deux policiers repartir bredouille ! Ce qui ne fut malheureusement pas le cas des 2 000 Juifs arrêtés et déportés durant les trois derniers mois de l’année 1943. Plus de 3 000 jusqu’à la Libération. Pourtant au regard du nombre de personnes juives vivant dans la région, le résultat de ces arrestations fut d’une moindre efficacité. « Seulement » 10 % furent envoyés dans les camps. Grâce entre autres aux organisations juives et à la solidarité individuelle, comme lorsque Tamara et son mari cachèrent une vieille femme juive atteinte de surdité (tous ces faits sont racontés par Véra dans son livre autobiographique « Pointes à la ligne… »)

Concernant le reste de la famille, même s’ils ne furent pas inquiétés et échappèrent aux rafles, la vie n’en restait pas moins de plus en plus difficile. C’est pourquoi, fin 1943, Bronia partit avec son mari pour le Puy où ils trouvèrent refuge chez un habitant du coin, Mr Lasfargues, ignorant alors qu’elle n’était qu’à une quarantaine de kilomètres du Chambon‑Sur‑Lignon, là où résidait la famille de son cousin Samuel Bercovitz… Elle y restera un an, jusqu’à son retour à Paris. Icko, quant à lui, partit à Toulouse en avril 1944 retrouver son frère Paul qui y vivait depuis plusieurs années. Mais à peine arrivé dans la ville rose, la police de sureté de la ville l’interpella pour détention et usage de fausse carte d’identité. Heureusement, il ne fut pas reconnu comme réfugié russe recherché par les autorités allemandes. Ce qui ne l’empêcha pas d’être immédiatement écroué. Au bout de deux mois, il comparut donc devant un tribunal qui le condamna à quinze jours de prison, et le libéra à l’issue de l’audience, sa peine ayant été purgée lors de sa détention provisoire. Une fois libre, hébergé chez son frère, il trouva ensuite un emploi en tant qu’ingénieur conducteur de travaux pour le compte de l’Union Générale Électrique. Il prit également contact avec la résistance toulousaine et devint même membre du groupe MNPGD, Mouvement National des Prisonniers de Guerre et Déportés, une des organisations de la résistance française entre 1940‑1944, dont le chef n’était autre que François Mitterrand.
Finalement, quatre semaines après la libération de la ville en aout 1944, il partit retrouver sa femme au Puy, où dans la continuité de sa participation au réseau de résistance toulousain, il rejoignit le Mouvement de Libération Nationale du département de Haute‑Loire.

On était donc à l’été 1944, et après les débarquements de Normandie en juin et de Provence en aout, la libération du territoire français progressait à grands pas. Il était temps pour toute la famille de revenir dans la capitale, ce qu’ils firent au fur et à mesure dès l’automne 44.