Les débuts en Géorgie
Frère cadet de Menahem, David vit le jour le 26 mars 1883 en Géorgie à Tiflis, aujourd’hui Tbilissi.
En avril 1902, à tout juste 19 ans, il épousa la jeune Géorgienne Ida Kanevski, fille de Israël Kanevsky et Sima Getgelte. Selon une des sources, Ida serait née en 1888, et donc mariée à 14 ans. Mais pourquoi pas ! Pour une autre, ce serait dix ans plus tôt, le 2 juillet 1878, soit un mariage à 24 ans. Quant à son acte de décès, il cite la date du 9 juillet 1888 comme étant celle de sa naissance. Au bout du compte, personne ne sait précisément quand elle est née. En revanche, pour leurs sept enfants, les informations semblent beaucoup plus précises et fiables. Il y eut tout d’abord Sonia en novembre 1905, puis Bronislawa dite Bronia en février 1906, suivie de Rose ou Roseta dite Rosalie en février 1907 et Tamara en aout 1908. Sept ans plus tard, en décembre 1915, ce fut au tour de Samuel, seul garçon de la famille, et pour finir, les deux jumelles, Anna et Belle en septembre 1919. Mais cette dernière décéda peu de temps après. Alors qu’elle n’était encore qu’un nourrisson, Ida voyant l’infirmière s’approcher de Belle avec une énorme aiguille pour la vacciner contre le choléra prit peur et ne permit pas de toucher à sa fille. C’est ainsi que la maladie emporta Belle tout juste née. Heureusement, sa sœur Anna également malade, survécut. Depuis ce jour, Ida eut toujours cette pensée de savoir qu’elle avait sans doute contribué à la mort de son enfant en lui ayant refusé cette piqure.
Et puis la vie continua. À cette époque, Ida travaillait dans la confection comme couturière-modiste, et David dans le commerce. Quant aux quatre filles, elles débutèrent donc leur scolarité en Géorgie, mais seule Sonia termina intégralement ses études à Tiflis. Elle obtint ainsi en 1920, après ses huit années d’école, « l’Attestat Zrelosti », l’équivalent russe du baccalauréat. Ensuite, était-ce un peu avant ou un peu après qu’elle se maria ? En tous les cas, elle avait à peine 16 ans, et quelques mois plus tard elle divorçait !

Entre temps, il y eut la révolution bolchévique qui, avec la chute de l’empire russe, donna naissance en 1917 à la toute nouvelle République démocratique de Géorgie. Mais en février 1921, l’Armée rouge envahit de nouveau le pays, mettant fin à son éphémère indépendance. Le gouvernement géorgien et la plus grande partie de la classe politique trouvèrent alors refuge en exil à Constantinople. Tout comme de nombreux Juifs de l’ancienne Russie, dont la famille Bercovitch.
Étape en Turquie
C’est ainsi qu’en 1921, ils quittèrent leur pays natal par le port de Batoumi pour traverser la mer Noire et rejoindre l’empire ottoman et sa capitale où ils retrouvèrent Menahem, le frère de David, et ses enfants. C’est donc en Turquie que les filles firent la connaissance de leurs cousins et cousines, dont Samuel, le seul garçon de leur âge, qu’elles fréquenteront régulièrement jusqu’à son départ pour la France en 1925.
Une fois installé, David n’eut aucun mal a reprendre son activité de commissionnaire, c’est à dire en charge d’opérations commerciales sous son propre nom, pour le compte d’un tiers. Les affaires marchaient si bien qu’il en profita même pour acheter plusieurs hôtels.
Puis en 1923, il envoya tous frais payés, ses deux filles Sonia et Bronia au conservatoire de Vienne. Car titulaires à 16 ans du baccalauréat obtenu pour l’une à Tiflis et pour l’autre à Constantinople, elles étaient également douées pour la musique, la première au piano, la cadette au violon. Elles restèrent ainsi près de quatre années dans la capitale autrichienne à perfectionner leur pratique, obtenant à la fin leur diplôme pédagogique de piano et violon. Quant à Tamara, une fois son bac obtenu avec mention excellent, elle partit à 17 ans, à la demande de son père, poursuivre ses études en France.

Mais dans cette toute nouvelle République turque dirigée depuis 1923 par Mustafa Kemal Atatürk, tout n’était pas si rose. Et même s’il réforma profondément son pays tant économiquement, socialement que politiquement, inscrivant entre autres la laïcité dans la constitution, Atatürk réalisa cette modernisation le plus souvent à marche forcée, n’hésitant pas à employer la violence. Par ailleurs, il développa une idéologie ultranationaliste fondée sur la race. Ainsi, souhaitant construire une nation turque homogène, Atatürk mena une politique particulièrement dure à l’égard des minorités étrangères, essentiellement grecques, arméniennes et Kurdes. D’une manière générale, toutes les populations minoritaires qui restèrent dans la nouvelle Turquie furent contraintes à l’assimilation. Quant à celles qui résistaient, il était préférable de partir.
C’est probablement pour ces raisons, que David et sa famille décidèrent début 1926 de quitter le pays, et pour ce faire, ils demandèrent à pouvoir bénéficier d’un passeport Nansen afin de se rendre en France.
Créé à l’origine en 1922 pour les réfugiés russes déchus de leur nationalité après la révolution de 1917, ce document de voyage et d’identité international permettait alors à tous les apatrides de passer légalement les frontières. Puis en 1933, à la suite de la convention de Genève, ils virent leurs droits dans le pays d’accueil étendus. Dès lors, les « réfugiés Nansen » obtenaient un statut légal presque équivalent à celui des nationaux, et la possibilité de travailler légalement.
Ainsi en mars 1926, leur passeport Nansen en poche, Ida et quatre de ses enfants, Sonia, Rosalie, Samuel et Anna, arrivèrent à Paris où ils retrouvèrent Tamara, sur place depuis déjà un an. C’est probablement à ce moment-là que Sonia décida de se faire appeler Sophie. Quant à Bronia, encore à Vienne pour terminer ses études, et David, resté en Turquie pour boucler ses affaires, ils ne les rejoindront qu’à l’été 1926.